CONTRAT D’AGENT COMMERCIAL : faute grave & indemnité de rupture

vendredi, 02 décembre 2022 17:28

La Cour de cassation rend deux arrêts récents, et essentiels, en matière d’agent commercial, et nous fournit ainsi l’occasion de rappeler que la rupture d’un contrat d’agent commercial doit être anticipée et préparée afin que le mandant ne subisse pas à la fois les éventuelles fautes de son agent et l’obligation de lui payer une indemnité de rupture, souvent conséquente.  

 

Synthèse :

 

Plus en détails :

1 - Le principe est simple : l’agent commercial a droit à une indemnité de rupture dès lors que la relation avec son mandant cesse (L. 134-12 C. com.).

L’exception l’est tout autant : cette indemnité n’est pas due en cas de faute grave de l’agent (L. 134-13 1° C. com.).

La mise en œuvre est en revanche piégeuse.

 

2 - Tout d’abord, l’article L. 134-12 ne distingue pas selon que le contrat d’agent est à durée déterminée ou non.

Certains mandants ont tenté d’échapper à toute indemnité en rédigeant une clause autorisant les parties à résilier le contrat d’agent à durée déterminée avant son terme.

La Cour de Cassation a considéré que si une telle clause est valable, elle n'est pas pour autant exclusive du droit à l'indemnité sans quoi elle constituerait « un détournement des règles d'ordre public protectrices de l'agent commercial » (Cass. Com. 28 septembre 2022).

La résiliation anticipée d’un contrat à durée déterminée d’agent commercial ouvre donc droit, pour ce dernier, au bénéfice de l’indemnité de rupture.

Cette décision est sans surprise puisque, pour rappel, l’indemnité pour rupture est due même lorsque le contrat à durée déterminée a été exécuté jusqu’à son terme, celui-ci caractérisant bien la « cessation de la relation » entre l’agent et son mandant (Cass. Com. 23 avril 2003)

 

3 - Enfin, la pratique révèle très souvent que l’avocat n’est consulté qu’une fois que le mandant a rompu le contrat avec son agent commercial, et que celui-ci exige le paiement d’une indemnité de rupture.

Le mandant peut alors être tenté de justifier a posteriori cette rupture par une faute grave de son ancien agent, alors même que celle-ci n’a pas été invoquée dans le courrier de résiliation, voire qu’elle n'a été découverte qu'après cette résiliation.

Dans une telle hypothèse, la Cour de Cassation s’est à plusieurs reprises prononcée en faveur du mandant (Cass. Com. 14 février 2018, Cass. Com. 24 novembre 2015, Cass. Com. 1er  juin 2010) : la faute, bien que révélée et/ou invoquée postérieurement à la rupture, préexistait bien à celle-ci. De sorte que, si le mandant l’avait connue, il aurait pu rompre à bon droit le contrat sans payer d’indemnité de rupture à l’agent.

Toutefois, une telle position était juridiquement contestable puisque l’article L. 134-13, qui crée une exception à un principe d’ordre public laquelle est donc d’interprétation stricte, n’exclut le droit à l’indemnité que lorsque « la cessation est provoquée par la faute grave de l’agent commercial ».

La Cour de cassation, citant à la fois ses décisions précédentes et l’arrêt du 28 octobre 2010 de la CJUE, a donc procédé à un revirement le 16 novembre 2022. Elle considère désormais que lorsqu'elle est découverte après la résiliation, la faute de l'agent ne peut exclure son droit à indemnité (Cass. Com. 16 novembre 2022) :

" 13. En considération de l'interprétation qui doit être donnée aux articles L. 134-12 et L. 134-13 du code de commerce, il apparaît nécessaire de modifier la jurisprudence de cette chambre et de retenir désormais que l'agent commercial qui a commis un manquement grave, antérieurement à la rupture du contrat, dont il n'a pas été fait état dans la lettre de résiliation et a été découvert postérieurement à celle-ci par le mandant, de sorte qu'il n'a pas provoqué la rupture, ne peut être privé de son droit à indemnité".

L’exception de l’article L. 134-13 n’autorise donc pas à « refaire le match » (pardon pour l’expression de circonstances), en tirant les conséquences d’une faute grave révélée (et donc notifiée) après la rupture du contrat d’agent.

 

4 - Toutefois, face au rigorisme qu'il impose, il est indispensable que la portée exacte de cet arrêt soit définie.

La Cour de Cassation subordonne sa motivation à la réunion de deux critères cumulatifs à savoir un manquement : 1/ "dont il n'a pas été fait état dans la lettre de résiliation" et 2/qui "a été découvert postérieurement à celle-ci par le mandant".

Si la faute de l'agent a été découverte après la résiliation, elle ne peut donc l'avoir provoquée.

Faut-il pour autant considérer que le mandant est réputé avoir renoncer à invoquer toute faute qu'il n'aurait pas expressément mentionnée dans le courrier de résiliation ?

La motivation de cet arrêt, portant sur un manquement découvert postérieurement, ne permet pas d'y répondre. 

Le rédacteur prudent pourrait ainsi envisager de citer exhaustivement les fautes reprochées, avec le risque de ne pouvoir en invoquer d’autres puisqu'il lui serait sans doute difficile de soutenir que la faute qui a "provoqué" la rupture est celle ... qu'il n'a pas invoqué dans son courrier.

Quand au mandant qui tenterait de résilier le contrat de son agent par une formule vague et ouverte (« plusieurs fautes graves vous ont été reprochées, notamment… »), il s’exposerait à l’insécurité juridique d’une jurisprudence non encore figée.

La question reste donc ouverte et devra être tranchée à l’occasion d’un prochain arrêt.

Il n'en demeure pas moins que la rédaction du courrier de résiliation d'un contrat d'agent commercial revêt un enjeu stratégique et doit être mûrement réfléchie.

 

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