Cour d’appel de Grenoble, Ch. Sociale, arrêt du 25 juin 2019

EXPOSE DES FAITS

Suite à son licenciement pour motif personnel intervenu le 16 mars 2015, une salariée, employée en qualité d’assistante service ressources humaines, signe le 30 mars 2015 un accord transactionnel avec son ancien employeur.a

Le 27 juillet 2016, la salariée saisit le Conseil de Prud’hommes de Valence d’une demande de paiement de la contrepartie financière à la clause de non concurrence qui était prévue à son contrat de travail, en application des dispositions de la Convention Collective de la Métallurgie.

Faisant droit à l’argumentation de la société, le Conseil de Prud’hommes, par jugement du 13 septembre 2017, déboute la salariée de l’ensemble de ses demandes. 

Sur un appel interjeté par la salariée, la Cour d’Appel de Grenoble se livre, dans un arrêt du 25 juin 2019, à une lecture restrictive des termes de la transaction conclue entre les parties, lecture qui semble à contre-courant de l’évolution marquée ces dernières années par la jurisprudence de la Cour de Cassation sur la portée des accords transactionnels rédigés en des termes généraux.

OBSERVATIONS

Aux termes des articles 2048 et 2049 du Code civil :

 « Les transactions se renferment dans leur objet : la renonciation qui y est faite à tous droits, actions et prétentions, ne s'entend que de ce qui est relatif au différend qui y a donné lieu. » 

« Les transactions ne règlent que les différends qui s'y trouvent compris, soit que les parties aient manifesté leur intention par des expressions spéciales ou générales, soit que l'on reconnaisse cette intention par une suite nécessaire de ce qui est exprimé. »

Sur le fondement de ces principes, et au terme d’une jurisprudence fluctuante, la chambre sociale de la Cour de Cassation retenait de manière constante une « conception restrictive » de la portée des transactions. 

Ainsi, les obligations ayant vocation à s’appliquer postérieurement à la rupture du contrat de travail n’étaient pas, par principe et sauf disposition expresse contraire, comprises dans l’objet de la transaction. Tel était tout particulièrement le cas de la clause de non concurrence. Lorsque l’accord transactionnel ne comportait aucune disposition emportant renonciation à la clause et à sa contrepartie financière, celle-ci n’était pas considérée comme entrant dans l’objet de la transaction (Cass. Soc, 6 mai 1998, n°96-40.234 ; Cass. Soc. 1er mars 2000, n°97-43.471 ; Cass. Soc. 24 janvier 2007, n°05-43.868)

Opérant un nouveau revirement dans sa jurisprudence, amorcé dans un arrêt 5 novembre 2014, puis confirmé dans un arrêt du 11 janvier 2017, la chambre sociale de la Cour de Cassation, s’alignant sur la position de l’Assemblée plénière, semble désormais donner plein effet aux accords transactionnels rédigés en des termes généraux (Cass. ass. plén., 4 juill. 1997, n°93-43.375 ; Cass. Soc., 5 novembre 2014, n°13-18.984 ; Cass. Soc., 11 janvier 2017, n°15-20.040).

Dès lors, l’accord selon lequel le salarié se déclare « être rempli de tous ses droits et ne plus avoir aucun chef de grief quelconque à l'encontre de la société du fait de l'exécution ou de la rupture du contrat de travail », donne à la renonciation du salarié une portée générale. Toute action en justice ultérieure liée à l’exécution ou la rupture du contrat est alors irrecevable, y compris pour des questions non expressément visées par l’accord, et ce quand bien même il s’agirait de droits futurs. 

Tel était le cas dans l’espèce précitée d’une demande d’indemnisation d’un préjudice d’anxiété lié à l’exposition du salarié à l’amiante, préjudice pourtant inconnu lors de la conclusion de l’accord (Cass. Soc., 11 janvier 2017, n°15-20.040).

De même, un salarié ne peut pas plus valablement solliciter le versement de sommes liées à une retraite supplémentaires, dont la mise en œuvre ne devait pourtant intervenir que plusieurs années après la signature de l’accord (Cass. Soc., 30 mai 2018, n°16-25.426). 

Encore récemment, la Cour de Cassation a adopté une position similaire à l’égard d’obligations ayant vocation à s’appliquer postérieurement à la rupture, y compris lorsque les droits du salarié ne sont qu’éventuels, comme en l’espèce l’obligation de réembauchage (Cass. Soc., 20 février 2019, n°17-19.676). 

Dans son arrêt du 25 juin 2019, bien qu’ayant au préalable relevé que, par le biais de la transaction, la salariée se déclarait remplie de tous ses droits, et renonçait expressément à toute prétention, réclamation, action ou instance de quelque nature qu’elle soit pouvant avoir pour cause, conséquence ou objet, directement ou indirectement, l’exécution ou la cessation des fonctions qu’elle a exercées au sein de la société ou du groupe, la Cour d’Appel de Grenoble s’attache pourtant exclusivement au fait que transaction ne comportait aucune mention dont il résulterait que les parties aient entendu régler la question de l’indemnité liée à la clause de non concurrence, dont il n’était par ailleurs pas justifié que la société ait expressément fait valoir, à l’occasion du licenciement ou postérieurement à celui-ci, sa décision de procéder à sa levée. Dans ce contexte, la Cour d’Appel juge que l’employeur ne peut se prévaloir de l’autorité de la chose jugée attachée à l’accord transactionnel pour s’opposer à la demande de versement de l’indemnité de non concurrence par la salariée. 

Bien que conforme à la jurisprudence « classique » relative à la portée de la transaction sur la clause de non concurrence, la position de la Cour d’Appel de Grenoble n’allait pas de soit au regard de la nouvelle approche « extensive » de la chambre sociale de la Cour de Cassation sur la portée des accords transactionnels. Reste donc à voir si la Haute Cour adaptera également son approche au cas particulier de la clause de non concurrence, problématique récurrente dans le règlement des litiges post rupture du contrat de travail. 

En marge de cette question, l’arrêt de la Cour d’Appel de Grenoble apporte une précision intéressante sur la notion de « nouvel emploi » au sens de la Convention Collective de la Métallurgie.

Selon ces dispositions, « en cas de licenciement non provoqué par une faute grave, cette indemnité mensuelle est portée à 6/10e de cette moyenne [moyenne mensuelle des rémunérations perçues au cours des 12 derniers mois] tant que l’intéressé n’a pas retrouvé un nouvel emploi et dans la limite de la durée de non-concurrence. » (Art. 10, Accords Nationaux Métallurgie)

Sur ce point, la cour d’Appel de Grenoble considère que ces dispositions ne sauraient être lues comme renvoyant en elle-même à la seule hypothèse d’absence d’emploi salarié. Dès lors, une activité indépendante, comme en l’espèce de consultante, entre bien dans le champ de ces dispositions, empêchant la salariée de revendiquer le bénéfice de l’indemnité de non concurrence majorée. 

PRINCIPAUX ATTENDUS

« Il n’est pas justifié par la société MXXX qu’elle a expressément levé la clause den non concurrence prévue au contrat de travail tant à l’occasion du licenciement que postérieurement à ce dernier. Par ailleurs, la transaction litigieuse ne comprend aucune mention dont il résultait que les parties au protocole ont entendu régler la question de l’indemnité de non-concurrence due à Madame DXXX. La société MXXX ne peut en conséquence exciper de l’autorité de la chose jugée s’attachant au protocole transactionnel du 30 mars 2015 pour s’opposer à la demande en paiement formée par Madame DXXX. Celle-ci est en conséquence fondée à en réclamer le versement.

Il ne ressort pas de la rédaction de la clause de non-concurrence litigieuse, selon laquelle l’indemnité de non –concurrence serait majorée tant que Madame DXXX n’aurait retrouvé un nouvel emploi dans la limite de durée de non concurrence, que les parties ont entendu limiter cette majoration qu’à la seule hypothèse d’absence d’emploi salariée. Il ressort du compte Linkedin de Madame DXXX qu’elle a développé une activité de consultante dans le délai prévu par la clause de non concurrence. La société MXXX est en conséquence fondée à soutenir subsidiairement que Madame DXXX ne peut prétendre qu’au paiement de l’indemnité de non-concurrence de base et non de l’indemnité de non-concurrence majorée.»

Cour d’appel de Grenoble, Ch. Sociale, arrêt du 25 juin 2019, RG 17/4570

Claire BUFFIN-CHAMPIN & Sylvain FLICOTEAUX

SELARL DELMAS FLICOTEAUX

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