Cour d’appel de Grenoble, Ch. Sociale Section B, n° 17/03037, arrêt du 19 septembre 2019

EXPOSE DES FAITS

Suite à son départ à la retraite intervenu le 1er novembre 2014, un salarié engagé en qualité de Directeur de département Syndic d’une société immobilière, soumis à une clause de non-concurrence, est engagé par une société concurrente à compter du 1er décembre 2014 en qualité de Chargé d’étude en activité immobilière. Il fait notamment valoir que s’il est engagé par une société qui est géographiquement dans le périmètre de la clause, il aurait été affecté dans un établissement en dehors de ce périmètre.

Le 30 mars 2016, son ancien employeur engage une action devant le Tribunal de commerce sur le terrain de la concurrence déloyale.

Immédiatement, le salarié saisi le Conseil de prud’hommes et fait valoir d’une part que la clause de non-concurrence ne lui serait pas opposable en ce que son précédent employeur n’avait jamais versé la contrepartie financière stipulée par la clause, et d’autre part que cette clause serait en tout état de cause nulle au regard du caractère dérisoire de cette contrepartie financière.

Par jugement en date du 8 juin 2017, le Conseil de prud’hommes déboute le salarié en retenant que celui-ci n’ayant pas respecté la clause de non-concurrence, l’employeur n’était pas tenu de verser la contrepartie financière, et en jugeant que la nullité n’était pas encourue.

Au terme de son arrêt du 19 septembre 2019, la Cour d’appel de GRENOBLE confirme intégralement cette appréciation et confirme également la condamnation du salarié à verser à son précédent employeur la clause pénale dont le montant est minoré par les juges.

OBSERVATIONS

Bien qu’un certain nombre d’éléments factuels ne soient pas explicités, cet arrêt est triplement instructif en ce qu’il se positionne sur plusieurs questions, souvent sujettes à contentieux, et dont l’appréciation est délicate à anticiper dès lors qu’elles dépendent – au moins en partie – d’une appréciation souveraine des juges du fond.

En premier lieu, la Cour constate que, certes l’employeur n’avait pas versé la contrepartie financière, mais elle rappelle immédiatement que le salarié avait violé la clause de non concurrence dès le 1er décembre 2014, soit un mois après la rupture de son contrat de travail, si bien que l’employeur était délié de son obligation de versement.

Cette appréciation apparaît logique dès lors que l’employeur ne peut certes pas présumer ou anticiper la violation de la clause de non-concurrence, en ne versant pas unilatéralement la contrepartie financière, mais cette contrepartie est souvent versée mensuellement aux mêmes dates que les salaires. Dès lors, le 1er décembre 2014, la première mensualité n’avait pas encore été versée et il pouvait être constaté que le salarié avait enfreint la clause avant même le premier versement.

En tout état de cause, cette appréciation apparaît cohérente avec la notion de loyauté contractuelle.

En second lieu, l’arrêt est plus surprenant en ce qu’il entérine la contrepartie financière dont il pouvait légitimement être craint qu’elle puisse être considérée comme dérisoire au regard des positions adoptées en la matière par la Cour de cassation.

En l’espèce, la clause stipulait une contrepartie financière d’un montant de 10% de la rémunération de référence en cas de rupture à l’initiative de l’employeur, mais de réduite à 5 % en cas de rupture à l’initiative du salarié.

La Cour, après avoir examiné et validé les autres conditions de validité de la clause, juge d’abord que la minoration de cette contrepartie financière en cas de rupture à l’initiative du salarié doit être réputée non-écrite, si bien que la salarié pouvait revendiquer le montant « normal » de 10 % mais elle juge ensuite – ce qui est plus instructif – d’une part que ce montant n’était pas dérisoire et d’autre part que le salarié pouvait revendiquer les termes plus favorables de la convention collective qui prévoyait un montant de 15 % de la rémunération de référence.

Le caractère non dérisoire du montant de 10% n’était pas évident et il est fort à parier que nombre de praticien ne l’aurait pas jugé suffisant, mais la Cour se livre à une analyse de ce seuil au regard de la durée, de l’étendue de la clause, et de l’atteinte effective portée par cette clause à la liberté de travailler.

Il est en effet vrai que la contrepartie financière n’est que la compensation de l’atteinte à la liberté de travailler et donc – en théorie – une appréciation de proportionnalité au cas par cas.

La Cour n’aurait-elle pas là aussi été guidée par des considérations de loyauté contractuelle et, en tous les cas, à une analyse très civiliste des termes contractuels ?

En dernier lieu, la Cour confirme la très importante réduction du quantum de la clause pénale (de 61.055 € à 1.000 €), ce qui constitue une application classique du pouvoir modérateur du juge. Pour ce faire, elle se fonde sur la spécificité de l’activité et la seule réalité du préjudice causé au créancier.

Il est dommage que les éléments ayant conduit à ces appréciations ne soient pas plus détaillés sur ces deux derniers aspects, mais cet arrêt a le mérite de rappeler qu’en matière de clause de non-concurrence, rien n’est écrit d’avance. Attention donc – même si la clause n’est pas nulle – à ses effets tant pour le salarié en termes de contrepartie, que pour l’employeur en termes d’indemnisation.

PRINCIPAUX ATTENDUS

« Que la contravention par …. Aux termes de la clause de non-concurrence à laquelle il était soumis, ainsi caractérisée, dès les semaines suivant la rupture de son contrat de travail, a délié la SAS … de son obligations réciproque de lui verser la contrepartie pécuniaire prévue à ce titre ; »

« Qu’il convient toutefois de rappeler que doit être réputée non écrite la minoration par les parties, dans le cas d’un mode déterminé de rupture du contrat, de la contrepartie pécuniaire d’une clause de non-concurrence, de sorte que …. Pouvait prétendre à une contrepartie financière d’un montant égale à 10% de sa rémunération de référence »

« Qu’au regard de l’étendue du périmètre géographique, de la durée de l’obligation de non-concurrence fait à …., et de l’atteinte effective à la liberté de travailler de l’intéressé, il convient de considérer que la contrepartie financière à laquelle l’intéressé pouvait prétendre n’était pas dérisoire ; »

« c’est à bon droit que les premiers juges, faisant usage de la faculté qui leur était reconnue par l’article 1152 alinéa 2 du code civil, dans sa rédaction alors applicable, ont retenu que le montant des indemnités résultant de la clause pénale apparaissait excessif au regard des spécificités de l’activité exercée et du seul préjudice dont l’employeur démontrait la réalité ».

Cour d’appel de Grenoble, Ch. Sociale Section B, arrêt du 19 septembre 2019, RG 17/03037

Claire BUFFIN-CHAMPIN & Sylvain FLICOTEAUX

SELARL DELMAS FLICOTEAUX

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